La panthère de l’Amour, identifiée comme le félin le plus menacé au monde, est confrontée à une probabilité de cinquante pour cent de survie, ce qui souligne la criticité de sa situation et l’urgence des efforts de conservation.
Khala, une panthère de 15 ans, s’agite dans son enclos à la vue du fusil hypodermique qui va lui administrer une fléchette anesthésiante. Dans quelques minutes, cette magnifique femelle de 35 kilos à la robe noire et or dormira les yeux ouverts sur une table d’opération, entourée de sept vétérinaires, dont deux venus de Berlin dans le cadre d’un programme européen de protection. Selon le vétérinaire Benoît Quintard, directeur du Parc zoologique et botanique de Mulhouse et référent du programme d’élevage européen de la panthère de l’Amour, il s’agit d’une « première mondiale ». Cette intervention vise à assister la reproduction de la panthère de l’Amour. Plus tôt dans la matinée, Khala s’était de nouveau accouplée avec Baruto, un mâle de 14 ans. Cependant, ces tentatives de reproduction naturelles n’ayant pas abouti jusqu’à présent, les vétérinaires s’apprêtent à intervenir pour aider la nature. Baruto, pesant 50 kilos, est le premier an imal à être préparé pour l’intervention. Comme dans une salle d’opération, un tube à oxygène lui passe entre les crocs, une intraveineuse lui injecte en permanence des produits anesthésiants et son cÅ“ur est relié à un électrocardiogramme dont le signal sonore surveille son activité cardiaque. Alors que sa longue queue tachetée pend dans le vide, Baruto voit ses parties intimes rasées avant d’être stimulé par un appareil électrique. Le professeur Thomas Hildebrandt, de l’Institut Leibniz pour la recherche zoologique et la vie sauvage (IZW) – un organisme basé à Berlin spécialisé dans la reproduction des espèces menacées – peut ainsi récupérer dans un flacon une petite quantité de sperme de l’animal. C’est ensuite au tour de Khala de passer sur la table d’opération. Elle subit d’abord une échographie rectale afin d’examiner son utérus. Le professeur Hildebrandt révèle les conclusions : « Bonne nouvelle : elle a ovulé. Mauvaise nouvelle : i l y a des kystes. » Cela signifie que même si un ovule est fécondé, il existe un risque qu’il ne parvienne pas à s’accrocher aux parois de l’utérus. Le vétérinaire introduit néanmoins dans l’animal une sonde reliée à une seringue contenant la semence du mâle. Il appuie tout doucement sur la gâchette pour expédier le liquide dans l’utérus. Sa collègue Susanne Holtze, qui estime la probabilité d’une grossesse à « environ une chance sur deux » – et donc d’une naissance trois mois plus tard – précise : « Il faut être patient. Si on va trop vite, ça pourrait ressortir. » Pour multiplier les chances de fécondation, une stimulation de Khala est effectuée, simulant un accouplement où un mâle mordrait la nuque. Le docteur Quintard procède ainsi à un massage vigoureux de son cou. Après une pesée, Khala retourne dans son enclos avant une ultime piqûre pour la réveiller. Cette intervention s’inscrit dans le cadre de la protection d’un animal classà © « en danger critique d’extinction » par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). La panthère de l’Amour est victime de la réduction de son habitat, de la raréfaction de certaines de ses proies et de la consanguinité. Khala et Baruto n’ont pas été choisis au hasard : leur patrimoine génétique a été jugé suffisamment varié pour renforcer la diversité de l’espèce. Le Dr Quintard explique qu’une partie de la semence de Baruto n’a pas été entièrement inséminée chez Khala, mais conservée « pour que si jamais il se passe quoi que ce soit avec lui, on ait encore son pool génétique, potentiellement, pour de futures inséminations ». Ceci souligne « l’importance » des quelque 250 panthères de l’Amour en captivité dans le monde, dont le « patrimoine génétique [est] bien plus important que celui des spécimens encore présents dans la nature ». En Chine, l’Administration nationale des forêts se montre plus optimiste : grâce à un programme de protection lancé en 2017, elle assure que le nombre d’individus est repassé de 42 à 80 cette année. Ce félin est cependant indirectement victime de la guerre en Ukraine : un programme de réintroduction en Russie est désormais suspendu.
